Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
philippelenoir-popculture.com

Journaliste professionnel, je propose ici de partager avec vous mes coups de coeur, mes avis et ma passion pour la culture populaire sous toutes ses formes.

Gene Tierney : un mirage dans la légende d'Hollywood

Gene Tierney : un mirage dans la légende d'Hollywood

Gene Tierney conserve une place très particulière dans le cœur des cinéphiles qui dépasse de loin une carrière relativement brève au cœur de l'histoire hollywoodienne. Mais en à peine une décennie où elle aligne quelques films essentiels, Gene Tierney se fabrique un destin de star très particulier qui suscite toujours un culte fervent. Ce ne peut être uniquement lié à sa beauté fulgurante qui captiva quelques-uns des grands cinéastes des années 40. L'explication est à chercher dans sa filmographie exceptionnelle et sans aucun doute dans son film le plus célèbre. Il s'agit évidemment de Laura, le chef d’œuvre noir d'Otto Preminger qui offre une séquence rare qui fait aimer le cinéma éperdument. Un détective qui enquête sur le meurtre d'une jeune femme, Laura, tombe amoureux d'elle à travers le tableau qui la représente. Un soir, il s'endort au pied du portrait et quand il se réveille la jeune femme est devant lui. Un pur fantasme de cinéma qui a subjugué des millions de spectateurs pendant des décennies et qui compte à juste titre pour l'une des plus grandes scènes de l'histoire du 7e Art. Surtout quand cette apparition possède le charme ingénu de Gene Tierney filmée par un metteur en scène dont on sent qu'il est tout autant subjugué par elle que le héros masculin de son film. Une image presque figée pour l'éternité qui occulte le fait que Gene Tierney a tourné d'autres grands films et surtout qu'elle vécut loin d'Hollywood la plus grande partie de sa vie. On en serait presque étonné d'apprendre qu'elle disparut en 1991 au Texas après avoir épousé un magnat du pétrole, loin des lumières d'Hollywood et dans un relatif anonymat.

Une dépression qui l'éloigne du cinéma

Surtout on apprit quelques années avant sa disparition, par le biais de son autobiographie, que son existence loin des studios de cinéma fut longtemps un véritable calvaire. Souffrant d'une grave dépression mentale, Gene Tierney fut internée plusieurs années en hôpital psychiatrique subissant d'innombrables électrochocs pour combattre ses envies suicidaires. Une thérapie brutale qui laissa des séquelles sur sa mémoire et l'obligea brièvement à devenir vendeuse de vêtements à Las Vegas dans les années soixante. Comme toujours, bien difficile de connaître les raisons de cette névrose. On avance le fait qu'elle ait contracté la rubéole alors qu'elle était enceinte en embrassant un soldat lors d'une manifestation de soutien à l'Amérique en guerre. La petite fille qui naîtra quelques mois plus tard en 1943, souffrira d'une déficience mentale, de surdité et de cécité, ce qui aurait provoqué la détresse de l'actrice. C'est en même temps l'apogée de sa carrière qui s'étale tout au long des années 40 où elle tourne avec quelques-uns des plus grands cinéastes de son temps au sein de la Twentieth Century Fox, le studio où elle bâtira l'essentiel de sa filmographie. Rien ne prédestinait Gene Tierney à devenir actrice de cinéma, elle qui est née le 19 novembre 1920 dans une famille aisée de New York. Elle fera même une partie de ses études dans une prestigieuse école privée en Suisse, ce qui devait la conduire à faire un beau mariage au sein de la bourgeoisie de la Côte Est. Mais lors d'une visite touristique au sein des studios Warner, le réalisateur Anatole Litvak remarque son éclatante beauté et lui conseille vivement de faire du cinéma. Les parents qui veillent au grain acceptent qu'elle prenne des cours de comédie à New York dans une école huppée où sont passées Katharine Hepburn ou Grace Kelly. C'est le patron de la Fox, Darryl Zanuck qui la remarque sur une scène de Broadway et lui propose un contrat pour Hollywood en 1940. Un contrat négocié par son père qui oblige le studio à la faire tourner sans attendre.

Une grâce fébrile et captivante

Dès ses débuts, elle joue sous la direction de Fritz Lang et de John Ford, deux grandes signatures d'Hollywood. Ses performances remarquables doublées d'une photogénie exceptionnelle lui permettent d'accéder très vite aux meilleurs projets de la Fox où elle va croiser des cinéastes déterminants qui vont bâtir sa légende. A l'entendre plus tard lors de quelques interviews, il n'est pas sûr qu'elle se rendait compte de sa chance incroyable. Pour Laura, elle bénéficie du refus du rôle par Jennifer Jones, mais ne se juge pas assez belle pour incarner l'héroïne. Elle va jusqu'à suggérer à la Fox de prendre Hedy Lamarr, ce qui semble assez insensé. Mais cette forme d'humilité participe sans doute du charme persistant de l'actrice. Mais plus que tout, Gene Tierney a subjugué des cinéastes qui ont décelé, au delà de sa beauté, l'essence même de son paradoxe névrotique. Ingénue fragile ou garce meurtrière, Gene Tierney capta la lumière avec une grâce fébrile dans une série de chef d’œuvres signés par Josef Von Sternberg, Ernest Lubitsch, John M. Stahl, et encore plus avec ses deux mentors, Otto Preminger et Joseph L.Mankiewicz. Une décennie vraiment prodigieuse qui s'éteint inexorablement à partir des années cinquante. Son père qui a pris ses affaires en main, va lui extorquer sa fortune, ce qui l'oblige à tourner des films avec moins de discernement. De plus, sa vie sentimentale est un véritable désastre, que ce soit avec son premier mari, le styliste Oleg Cassini ou avec ses amants parmi lesquels on compte Howard Hughes, le prince Ali Khan ou John Fitzgerald Kennedy. Elle connaît également le sort trop souvent réservé aux actrices d'Hollywood dès que les premiers signes du vieillissement se font jour. Rien de déshonorant dans cette filmographie des années 50, mais le charme se rompt doucement autour d'une femme dont les tourments ont désormais pris le dessus. De manière assez touchante, après une éclipse de plusieurs années, Gene Tierney retrouvera en 1962 Otto Preminger pour un rôle secondaire dans Tempête à Washington. Le cinéaste qui jouit pourtant d'une réputation détestable de sadisme auprès des actrices, avait de toute évidence un désir fou de la filmer une dernière fois, bataillant notamment contre les assureurs qui ne voulaient pas couvrir celle que l'on jugeait folle. Ensuite, Gene Tierney vivra l'essentiel de son existence à Houston au Texas où elle s'adonna, parait-il avec talent, à sa passion pour le bridge. Contre toute attente, son mythe s'amplifia au fil du temps lié à ses chefs d’œuvre qui restent des incontournables pour tous les amoureux du grand cinéma hollywoodien.

Nos cinq films à voir avec Gene Tierney

Shanghaï (The Shanghaï Gesture)

Josef Von Sternberg

1941

Son premier grand rôle avec Victor Mature

Son premier grand rôle avec Victor Mature

Après Shanghaï Express qu'il a réalisé en 1931 avec sa muse Marlène Dietrich, Josef Von Sternberg renoue avec l'ambiance exotique de la Babylone chinoise dans ce film qui doit le remettre en selle au sein d'Hollywood. Car le cinéaste qui créa le mythe Dietrich a perdu une grande partie de son crédit depuis la fin de sa relation amoureuse et artistique avec son égérie. Lui-même dira plus tard que sa carrière s'est arrêtée en 1935 après La Femme et Le Pantin, le dernier film qu'il tourna avec Marlène Dietrich. Le fait est que The Shanghaï Gesture sera un échec commercial et critique à sa sortie qui mettra à nouveau en péril le parcours de Von Sternberg. Pourtant, il s'agit d'un de ses meilleurs films, un somptueux mélodrame dans l'enfer du vice d'un Shanghaï de tous les fantasmes. Et le réalisateur trouve d'évidence une motivation à sublimer la beauté de Gene Tierney. C'est le premier grand rôle de la jeune star de la Fox qui porte dans l'insouciance de ses vingt ans le défi d'incarner une femme fatale, capricieuse et intrigante qui passe son ennui autour des tables de jeu d'un casino, lieu névralgique du film. A ses côtés, elle peut compter sur la suavité de l'excellent Victor Mature, sorte de poète égyptien mythomane et manipulateur. Il s'agit avant tout d'un grand film d'atmosphère cruel et pervers, teinté d'érotisme et baigné de fumée d'opium sous couvert d'exotisme oriental pour mieux échapper à la censure. La mise en scène de Von Sternberg est d'une subtile élégance, baignée d'une lumière irréelle. Les dialogues sont étincelants pour le couple vedette comme pour la galerie de personnages pittoresques qui gravitent autour d'eux. Gene Tierney, malgré l'échec du film y gagne ses galons de vedette. The Shanghaï Gesture mérite vraiment d'être redécouvert à l'aune de ce qu'il est : un chef d'œuvre !

Le Ciel Peut Attendre (Heaven Can Wait)

Ernst Lubitsch

1943

Gene Tierney dans l'univers enlevé de la Lubitsch Touch

Gene Tierney dans l'univers enlevé de la Lubitsch Touch

On peut dire que les fées du cinéma se sont penchées sur le début de carrière de Gene Tierney. Après trois ans de contrat à la Fox, elle compte déjà sur son carnet de bal Fritz Lang, John Ford, Josef Von Sternberg, Henry Hathaway, William A Wellman... Mais à l'époque, qui peut penser que la jeune beauté exotique peut s'intégrer dans la mécanique de précision de la Lubitsch Touch ? Le boss de la comédie sophistiquée ne s'y trompe pas en l'engageant dans son premier film en technicolor, histoire lui aussi de plonger dans le regard azur de Gene Tierney. Selon l'actrice, c'est le rôle qui lui ressemble le plus, celle d'une épouse dévouée, rayonnante et prête à pardonner les écarts de son époux volage. On dit souvent que c'est le film-testament de Lubitsch dans le sens où sa comédie se révèle moins pétillante que ses chefs d'œuvre précédents. Mais le cinéaste y gagne en délicatesse, voire en douce mélancolie dans sa manière de dresser le bilan de la vie de son héros, un homme qui se trouve aux portes de l'enfer où il se résout à passer l'éternité en raison de sa vie dissolue. Sauf qu'il doit justifier son droit d'entrée en racontant pourquoi il mérite un tel châtiment. Ernst Lubitsch file sa comédie colorée avec son amoralité coutumière et son goût des situations enlevées, mais avec une forme plus nostalgique sur le temps qui file et donne à chaque élan du cœur une raison d'oublier que la mort est au bout du chemin. Don Ameche, acteur subtil, charme en séducteur volage qui fait le bien autour de lui sans le savoir. Mais dans un rôle plus effacé, on retient la performance de Gene Tierney vraiment étincelante en femme bienveillante envers celui qu'elle aime malgré ses frasques. Sa beauté espiègle et rayonnante illumine cette comédie de très haute volée. Elle prouve surtout qu'elle est devenue une grande actrice capable de relever les plus beaux défis.

 

Laura

Otto Preminger

1944

Dana Andrews fasciné par le portrait de Laura

Dana Andrews fasciné par le portrait de Laura

S'il ne doit en rester qu'un, ce sera forcément Laura, le film qui reste attaché à jamais à Gene Tierney. Un diamant noir dans sa filmographie comme dans celle de Preminger d'ailleurs. On l'a raconté plus haut, mais tout le film ne semble dans le fond tenir que par cette séquence où Gene Tierney fait son apparition, le mot n'est pas trop fort, devant Dana Andrews qui incarne le détective qui enquête sur sa mort. Une séquence qui hante l'esprit cinéphile et qui explique sans conteste le culte voué à l'actrice. Gene Tierney qui fut toujours très humble sur son talent, estima que c'était son portrait, (en fait une photo peinte) qui fit le succès du film et lui assura sa place dans l'histoire du cinéma. C'est oublié que ce chef d’œuvre intemporel se révèle également un grand film noir, un polar psychologique et romantique d'une intense vibration passionnelle et hautement fétichiste. Car Laura, vivante ou défunte, est un pur fantasme qui fait tourner la tête des hommes rêvant de la posséder. A l'instar du fameux tableau, Preminger modèle son actrice pour en faire une icône qui mêle sensualité, intelligence et indépendance. Ce n'est pas un hasard si Gene Tierney est une star autant adulée par les hommes qu'elle est admirée par les femmes. Laura n'est pas une vamp prédatrice, ni une victime soumise. Même si elle sait jouer de sa séduction pour réussir, elle propose un nouveau modèle de femme fatale au cinéma qui lui permettra d'affirmer sa singularité. Sur une intrigue policière passionnante sur ce qu'elle dévoile des affres du désir, doté d'un thème musical sublime et d'une mise en scène d'une modernité éclatante, Laura est un chef d’œuvre éternel, toujours à la hauteur de sa réputation.

Péché Mortel (Leave Her to Heaven)

John M. Stahl

1945

Gene Tierney au sommet dans Péché Mortel

Gene Tierney au sommet dans Péché Mortel

Dans cette sélection de films, le mot chef d’œuvre revient à chaque fois. Mais de tous les grands films de Gene Tierney, c'est sans doute ce Péché Mortel que l'on doit placer au sommet de sa fulgurante carrière. C'est d'ailleurs le seul rôle pour lequel elle obtiendra une nomination à l'Oscar de la meilleure actrice, statuette qui lui passera sous le nez, l'Académie préférant consacrer Joan Crawford pour Mildred Pierce. C'est le vétéran John M. Stahl qui va relever le défi d'offrir le plus bel écrin imaginable pour magnifier la beauté de Gene Tierney dans un rôle de garce psychopathe, n'hésitant pas à tuer ceux qui font obstacle à son désir d'être aimée. La scène la plus célèbre du film montre l'actrice mettre ses lunettes de soleil alors qu'elle laisse un adolescent, frère de son mari, se noyer au milieu d'un lac. L'autre séquence traumatisante est celle où elle se jette dans un escalier pour perdre le bébé qu'elle porte. C'est donc un grand film noir, mais qui a la particularité de bénéficier d'un technicolor flamboyant qui rend chaque séquence éblouissante. Le film démarre comme un mélodrame digne de Douglas Sirk, une histoire d'amour qui se noue comme dans un rêve par une rencontre dans un train. La première scène qui découvre le visage de Gene Tierney caché derrière un livre est tout simplement magique. Au fil de la première heure, quelques indices montrent le caractère névrotique de l'héroïne, soumise à une jalousie maladive. Gene Tierney en un éclair, montre son visage se durcir comme en écho à la maladie mentale qui va la ronger au fil des années à venir. Face à elle, Cornel Wilde, acteur assez falot, est totalement sous son emprise et participe de la tension extrême que le film développe jusqu'à son dénouement. Péché mortel est l'un des plus grands thrillers de l'âge d'or d'Hollywood, porté par une star sublimée comme jamais.

L'aventure de Mme Muir (The Ghost and Mrs Muir)

Joseph L. Mankiewicz

1947

Gene Tierney et Rex Harrison

Gene Tierney et Rex Harrison

Ce film est un véritable bijou, l'un des plus beaux de l’œuvre prestigieuse de Mankiewicz. Et il le doit en grande partie à Gene Tierney qui y tient un rôle plus que délicieux de jeune veuve qui quitte Londres avec sa fille et une domestique pour s'installer dans un cottage en bord de mer. La maison est réputée hantée par le fantôme de son ancien propriétaire, un capitaine au long cours. Très vite, Madame Muir va faire la connaissance du spectre avec qui elle va entretenir une relation amicale. Celui-ci est certes assez râleur, mais elle lui voue une tendresse qui va devenir réciproque au point de générer un sentiment amoureux. C'est un film qui se situe dans la veine du fantastique romantique, un genre qui aura toujours la côte à Hollywood au fil du temps. Mais Joseph L. Mankiewicz le porte, non pas à un point d'incandescence, mais bien à un sommet de douceur inégalé. C'est tout d'abord une comédie de situation brillante où l'on découvre une jeune femme atteinte de bovarysme qui rêve d'une existence aventureuse et trouve dans ce fantôme un moyen de quitter la réalité de son quotidien. Mais ce fantôme avec qui elle entretient une relation platonique va être concurrencé par un homme, un vrai, écrivain de surcroît et mufle pour l'éternité. Le fantôme joué par Rex Harrison et l'écrivain incarné par George Sanders sont impeccables, mais honnêtement, c'est bien Gene Tierney qui subjugue encore une fois son metteur en scène. L'actrice est tout simplement divine dans un personnage qui lui va à ravir, d'autant que le film ne se résout jamais à dévoiler si le fantôme de Madame Muir ne vit que dans ses rêves. Le dénouement d'une bouleversante mélancolie, est de ceux qui font surgir les larmes, même après plusieurs visionnages ouvrant la voie au merveilleux, celui du rêve qui triomphe de toutes les désillusions réelles de l'existence. Alors oui, c'est un pur chef d’œuvre vibrant d'intelligence qui offre à Gene Tierney sa place éternelle au paradis des actrices de légende.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article